En toute occasion, même devant une forêt de micros bariolés, ayez l’air intelligent et compétent.
Si vous voulez vraiment devenir Président, il faut être prêt à vous prendre au sérieux, quelles que soient les circonstances, quel que soit le sujet sur lequel vous aurez à vous exprimer.
Il vous faudra affirmer de la manière la plus officielle qui soit, sans rire ni ciller le moins du monde, des choses le plus souvent incongrues, futiles, voire complètement stupides, comme par exemple que les producteurs de truffes apportent leur contribution à la grandeur de la France, que nos champions de pétanque rendent chaque jour plus fier l’ensemble de nos concitoyens, ou encore que le Katanga Occidental, dont le nouveau Président est en voyage officiel dans notre beau pays, est depuis des siècles le meilleur ami de la France !
Peu importe si ce que vous dites en ces diverses et nombreuses occasions est oublié dès le lendemain de votre intervention, pourvu que dans tous les cas, au moment où vous vous exprimez ou au moment où cela est communiqué à l’opinion publique, une majorité d’électeurs se disent : « bon sang, mais il a raison ! ».
Le plus important c’est l’impression que gardera le téléspectateur du 20H de l’extrait de dix secondes qu’on lui aura administré dans le sujet résumant votre intervention de la journée. Vous devez impérativement et systématiquement donner l’impression :
a/ de maîtriser le sujet sur lequel vous vous exprimez ;
b/ de voir beaucoup plus loin que le périmètre initial de la question ;
c/ que vous êtes le mieux placé dans le pays pour résoudre les problèmes dont il est question ou au moins pour obtenir quelques progrès significatifs ;
Le tout avec un ton suffisamment détaché pour ne jamais laisser croire que votre tâche vous accable.
Prenons un exemple.
Il se tient toutes les semaines en France, généralement le mercredi matin, une réunion qu’on appelle le Conseil des Ministres, qui est l’une des plus importantes et des plus sérieuses de notre pays. C’est en tout cas l’image qu’en a l’opinion publique. Les participants pourraient aussi bien jouer au Cluedo, à la bataille navale ou faire des gâteaux pour le goûter, personne n’en saurait jamais rien, et les ministres interrogés à la sortie n’en seraient pas moins guindés ni solennels.
Imaginez que vous êtes un ministre fraîchement nommé, au tourisme par exemple ; vous sortez tout guilleret du Conseil, et vous êtes harponné par une nuée de micros de toutes les couleurs, alors qu’une dépêche AFP vient de tomber relatant la décision justement prise le matin même, annonçant que tout séjour touristique de Français, en France ou hors de France, sera désormais soumis à un impôt dit « impôt de départ » équivalent à 15% du montant de votre voyage (avez-vous remarqué de quelle ingéniosité sont capables ceux qui nous gouvernent en matière de création de nouvelles impositions ?) ; bien évidemment cette décision aurait dû rester confidentielle, le temps pour vous et votre ministère d’en organiser la communication, mais une fuite malencontreuse est venue tout gâcher, organisée par votre rival et néanmoins collègue aux personnes âgées, celui qui jouait le Colonel Moutarde le matin même lors du Conseil des Ministres.
Ainsi vous voilà dans l’arène, avec une opinion publique, représentée par ses fidèles relais journalistes, suspendue à vos lèvres, attendant votre réaction à chaud. Pas d’échappatoire ; impossible de rejoindre votre berline aux vitres fumées devenue inaccessible en quelques secondes à cause de l’agitation générale et de l’essaim de reporters en quête de sensationnel.
Toutes les conditions sont donc réunies pour faire de ce moment le pire souvenir de votre future carrière, celui que vous vous amuserez à répéter en introduction de vos discours de campagne électorale, en bon professionnel que vous serez devenu, grâce notamment au bon usage que vous aurez fait du présent conseil.
Voici ce qu’en pareil cas il ne faut pas faire :
1- Se crisper et nier énergiquement la réalité des faits : petit bénéfice à courts termes, gros ennuis ultérieurs ;
2- Se défausser en déclarant que vous étiez résolument contre cette mesure : l’avantage de jouer perso ne pèsera pas lourd face à l’inconvénient de ne pas être solidaire ;
3- Ne rien dire, et reporter vos réponses à plus tard, lors d’une communication officielle que vous promettez : si vous n’êtes pas inspiré, ou pris de court, c’est sans doute un moindre mal ; mais vous ne pourrez laisser longtemps l’opinion dans l’attente, sachant que la réaction attendue devra être à la hauteur de la pression qui aura eu le temps de s’installer.
Voici quelques idées pour s’en sortir :
1- appel au calme ; dédramatiser en affirmant de façon convaincante que rien n’est décidé, et qu’il s’agit maintenant de lancer une vaste concertation de tous les acteurs concernés ;
2- rappeler les exigences de solidarité gouvernementale qui impose à tous les ministères de participer à l’effort particulier que le gouvernement dans son ensemble doit faire en ces temps de crise ;
3- partager votre fardeau en faisant allusion à un autre projet concernant la réduction des pensions versées aux retraités ; ce qui est une façon de mouiller Moutarde (soit c’est bien lui qui vous a mis dans ce pétrin et vous tenez là votre vengeance, soit ce n’est pas lui et ce n’est pas inutile de gêner l’un de vos plus dangereux rivaux) ;
Enfin : prendre date avec l’opinion publique afin de montrer votre souci de transparence et faire un point sur la question.
Allez, à +
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.