Publiez un livre.
Nous vivons dans un drôle de pays où si vous ambitionnez quelque haute fonction publique il vous faudra un jour ou l’autre penser à publier un livre. Roman, essai ou biographie, tous les genres vous sont permis du moment qu’il s’agisse de toute autre chose que de votre ambition personnelle, tout en la servant au mieux bien entendu. Ce qui compte c’est, premièrement, de montrer que vous êtes capable de penser à autre chose qu’à la politique, deuxièmement, qu’en plus d’être un homme d’action vous savez également être un homme d’esprit, et, troisièmement, de créer une occasion nouvelle et supplémentaire d’être invité dans un studio de radio ou sur un plateau de télévision.
Rassurez-vous, le fait de savoir si vous êtes réellement ou non l’auteur de votre propre livre est tout à fait secondaire et n’intéressera personne. En outre, même si le niveau des ventes peut vous servir d’indication sur votre popularité, on ne vous en voudra pas si vous n’atteignez pas les 5000 exemplaires.
L’important est de bien choisir son thème.
Si vous optez pour la biographie, vous avez bien sûr intérêt à choisir avec soin la personnalité à laquelle vous allez adjoindre votre nom. Cette personnalité doit être suffisamment connue, mais pas au point d’avoir déjà suscité une douzaine de biographies précédentes – à moins de faire autorité en la matière et ce sera alors pour prendre le contre-pied des ouvrages parus en révélant des aspects méconnus de sa vie que vous vous évertuerez à dépeindre comme remarquable. Elle doit être suffisamment estimable pour pouvoir tirer votre propre image vers le haut, car vous prenez le risque d’une identification dans l’opinion publique entre le biographe et son modèle. Elle doit être suffisamment installée dans le paysage pour que le travail de mémoire ait eu le temps de faire son œuvre et pour que d’éventuelles révélations ou polémiques embarrassantes ne risquent pas de vous éclabousser.
Une autre option consiste à traiter d’un événement historique plutôt que d’une personnalité. Cela peut être une bonne occasion de souligner la pertinence de vos idées et la modernité de votre démarche en vous appuyant sur un fait ou des événements qui ont forgé l’histoire de votre pays. Bien sûr, il faut que le bénéfice soit patent et compréhensible. Ne prenez pas la peine de nous livrer votre version de la Révolution française si c’est pour nous annoncer que vous êtes républicain et démocrate. De même, laissez de côté l’affaire Dreyfus si c’est pour nous dire que vous avez toujours été dans le camp des dreyfusards.
La biographie est toutefois à manier avec précautions car vous vous exposez plus particulièrement à la critique et notamment à celle des historiens. Il y aura donc une exigence particulière qui dépasse largement la simple appréciation de votre style ou de vos idées. Ce type d’ouvrage demande un travail de préparation et de recherche conséquent qui ne souffrira pas d’être bâclé pour servir votre propre calendrier de communication, et ce sera donc un travail que vous aurez beaucoup de mal à faire accepter comme étant effectivement le vôtre.
Si vous optez pour le roman, bien entendu vous avez tout loisir d’en choisir le thème et le contenu à votre guise. Cependant, là aussi vous vous exposez à la critique de manière très directe dans la mesure où le simple fait de publier un roman est un message envoyé à l’opinion publique pour dire : vous voyez, je ne suis pas seulement maire, député, ministre, président de mon parti, père de famille nombreuse, professeur de droit, historien et spécialiste reconnu des relations entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, mais je suis aussi un écrivain ! La crédibilité de ce message dépendra bien évidemment de votre capacité à convaincre de vos qualités littéraires un lectorat suffisamment significatif pour le transformer en électorat et que par ailleurs vous n'avez pas besoin de plus de 4 heures de sommeil par mois.
Le plus facile, le plus simple et le moins risqué c’est encore de publier un essai.
Le choix du thème est tout aussi libre. La forme et le style sont sans contrainte particulière. Aucune quantité n’est imposée. Il faut juste s’assurer que le moment est bien choisi et que le sujet abordé est suffisamment fédérateur pour dépasser le territoire habituel de votre propre électorat, tout en traitant d’un thème qui s’inscrit dans la durée mais qui peut facilement être relié à l’actualité.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.