C'est vrai quoi ! Ça suffit les coups de klaxon intempestifs !
Avez-vous remarqué à quel point la voiture peut nous rendre con ?
Pourquoi faut-il que, sous prétexte que nous avons un volant entre les mains, un accélérateur sous le pied, et un avertisseur (très) sonore à portée de doigts, nous perdions toute humanité ?
Pourquoi est-il si impératif de démarrer avant les autres au feu vert, de passer avant tout le monde dans un rétrécissement de voie, de forcer le passage dans un carrefour déjà suffisamment embouteillé ?
Parfois j’ai l’impression d’être le seul au monde à ne pas m’engager sur un carrefour sans être sûr de le pouvoir franchir, ou bien à m’arrêter devant un passage protégé pour laisser passer des piétons, au risque de déchaîner un concert assourdissant d’impatiences et d’intimidations. Il faut dans certains cas une sacrée force de caractère pour contenir le flot de circulation rugissant qui ne demande qu’à bondir sur tout ce qui bouge.
Le klaxon est vraiment une plaie de la vie urbaine contemporaine.
Il en est d’ailleurs de son usage comme d’un trait de caractère sociologique d’un pays ou d’une population : à Londres, pas de coup de klaxon, ou très peu ; à Naples ou à Athènes, toujours un doigt dessus, mais jamais en continu, plutôt interrogatif ou préventif ; à Paris, il est rarement signe de détente, plutôt impatient, agressif, insultant, quand il n’est pas revanchard et prolongé.
Le klaxon donc, tel qu’il est conçu et utilisé à Paris, donne bien souvent à la circulation urbaine un caractère quasi belliqueux, et ajoute à la fatigue nerveuse des automobilistes bloqués celle des piétons et riverains subissant malgré eux ces salves sonores parfois difficilement supportables.
A toute heure, à tout bout de champ, que le ciel soit bleu et calme ou bien gris et perturbé, la seule et unique façon de s’adresser la parole d’un véhicule à l’autre, ou même d’un véhicule à tout autre interlocuteur déambulant sur la voie publique, consiste à s’envoyer dans la tronche une volée de décibels forcément excessive puisque non dosable, que seules les circonstances permettent d'interpréter. Rarement utilisé pour un simple « bonjour », le coup de klaxon parisien signifie plutôt « avance du con ! », ou bien « casse-toi de-là tu vois bien que tu m'emmerdes ! ». En fait il révèle bien davantage le degré de névrose de son 'auteur-compositeur'.
Il est fort dommage que les constructeurs n’aient toujours pas mis à profit cette géniale invention dont bénéficient les autobus parisiens depuis quelques temps déjà, et qui donne la possibilité au chauffeur de faire tinter une charmante sonnette pour rappeler aimablement à l’ordre quelqu’un qui s’approcherait trop près de la bordure du trottoir à son arrivée. Cet avertisseur « bien élevé », dont l’agréable tonalité rappelle – avec un peu d’imagination – ces angelots de Noël tournants en un mignon manège à la chaleur des bougies, me semble être une alternative civilisée à la trompe de cargo à faire trembler tout le quartier.
Ou mieux encore, pourquoi ne pas revenir à ces klaxons d’antan qu'on trouve dans les magasins de vélos, en forme de poire, au bruit grotesque mais tellement sympathique ? On pourrait les imaginer de tailles différentes et aux tonalités variées : la petite poire aiguë aux réactions vives, nerveuses et répétées ; la grosse poire plutôt grave aux interventions rares mais puissantes ; la poire légèrement essoufflée, ou timide, ou bien encore fatiguée… Chaque poire serait un reflet de la personnalité de chaque conducteur, comme les essuie-glaces de Jacques Tati dans son film Trafic...
Que les poires se fassent entendre !