Au moment où j’ai écrit ces lignes, j'étais au cœur de Paris, et pourtant ailleurs, à l’abri du temps et de l’agitation.
Au dehors, sur les quais de la Seine, j’imagine que la vie trépidante ne s’est pas arrêtée, que le flot continu de la circulation provoque toujours autant de désagréments, et pourtant je suis en retrait, je suis loin.
J’écris sans être distrait par autre chose que la beauté des lieux, sous le regard autoritaire de Tibère, ou plutôt de son buste, voisin de ceux de Domitien et de Plautilla femme de Commode, dans une salle de lecture monumentale de 65 mètres de long et de 8 mètres de hauteur sous plafond, entièrement décorée de boiseries du XVIIeme siècle. C’est la plus ancienne bibliothèque publique de France, dite Mazarine, sise au sein du Collège des Quatre-Nations, devenu depuis 1805, l’Institut de France.
C’est un lieu magique, c’est un lieu qui inspire, car vu son âge, on se prend à rêver que Saint-Simon lui-même aurait pu être assis là, à la même place, quelques trois siècles auparavant, en train de griffonner, parapher, raturer et compléter ses mémoires.
C’est un endroit qui n’a sans doute pas beaucoup d’équivalent au monde, où l’on vient mettre un moment sa vie entre parenthèses, le temps d’une lecture ou d’un travail de recherche, comme un croyant viendrait se recueillir dans une cathédrale.
S’attabler et se mettre au travail à l’une des 150 places que contient la salle, c’est un peu se donner rendez-vous à soi-même, en dehors de toute notion chronologique ; mais c’est d’abord se soumettre à un rite immuable, procédure sûrement ancienne qui veut qu’on vous attribue une place numérotée, en échange de votre carte de lecteur, et que ce numéro servira pour vous retrouver lorsque vous aurez réservé un ouvrage, après avoir relevé sa cote sur le catalogue informatisé grâce aux écrans d’ordinateur à votre disposition.
C’est un monde à part, voué au culte de l’écrit, avec ses règles propres, son personnel dévoué, à la fois ministres de la lecture, gardiens du temple, officiers du classement, maîtres du temps et courtiers en érudition.
C’est une sorte d’allégorie littéraire de l’univers que l’on peut décréter au choix comme fini si l’on considère que c’est un espace dont on peut faire le tour avec les yeux, ou bien infini si l’on essaye de compter les ouvrages un à un, et dans chacun d’eux les millions de mots et de caractères qui y sont imprimés, et surtout le nombre incalculable d’heures de lecture auxquelles ils vous invitent.
D’ailleurs l’impression qu’on peut ressentir dans cette bibliothèque lorsqu’on laisse ses yeux parcourir les rayonnages, est un peu la même que celle qui vous envahit lorsqu’on est couché sur le dos dans l’herbe par une belle soirée d’été, la tête dans les étoiles : vertiges et exaltations.
Il y a une autre chose magique que j’ai découverte à propos de la Mazarine.
On lit sur une plaque extérieure, quai Conti, côté Pont-Neuf, que l’institut est bâti sur l’emplacement qu’occupait autrefois la Tour de Nesle, qui faisait partie des fortifications dites de Philippe Auguste.
Lorsque j’ai fait cette découverte, cela faisait un certain nombre d’années déjà que je me demandais où pouvait bien se situer cette Tour de Nesle dont il est question dans Cyrano et que j’imaginais à la périphérie du centre de Paris, oubliant bien sûr qu’à une certaine époque, la périphérie commençait aux portes du Louvre.
Ainsi, la prochaine fois que quelqu’un vous donnera rendez-vous au pied de la Tour de Nesle, vous saurez d’abord que c’est un piège, comme c’est le cas dans la pièce de Rostand, et vous saurez ensuite où il faut vous rendre.
Je suis content de vous avoir rendu par avance ce service qu’aucun plan de métro ni aucun guide touristique de la capitale ne pourra jamais vous rendre.
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