On ne marche plus. Ou du moins pas assez.
Je plains beaucoup ceux qui ne peuvent faire autrement que de passer du lit à la table du petit déjeuner, puis de leur maison à leur voiture, puis de leur voiture à l’ascenseur, puis de l’ascenseur à leur bureau, et qui font l’inverse le soir, avec une simple pause déjeuner à la cantine d’entreprise entre midi et deux. Je plains tout autant ceux qui s’engouffrent directement dans le métro qui les amène directement sur leur lieu de travail, qui n’ont que quelques pas à faire avant de s’asseoir pour une pleine journée de travail. Et je ne parle pas de ces pauvres grands patrons, ministres et autres VIP, à qui la vie, l’habitude et les mesures de sécurité ont fait oublier tout simplement jusqu’à l’usage même de leurs jambes, sauf pour descendre, devant les caméras, les marches du conseil des ministres, ou en période électorale lorsqu’il faut battre la campagne.
J’ai la chance d’être parisien et de marcher beaucoup. C’est même mon mode de déplacement urbain préféré. On arrive plus détendu, plus serein, plus en forme à destination lorsqu’on y arrive en marchant. Parfois il suffit de ne pas prendre sa voiture, ou de descendre une ou deux stations de métro avant sa station habituelle, ou bien de se garer plus loin que d’habitude, ou bien encore de faire un tour du pâté d’immeubles une fois avoir garé son véhicule au parking du bureau. Ou bien encore de faire tout simplement à pieds un trajet que l’on avait pris l’habitude de faire autrement, sans se rendre compte que cela pouvait se faire en 45 minutes de marche ! (en quarante minutes d’une marche tonique, je parvenais quotidiennement à parcourir les 5 kilomètres qui séparaient mon domicile de mon bureau, à l’époque de mon deuxième job).
Le grand plaisir du week-end c’est bien sûr d’aller faire le marché… en marchant ! Si bien qu’en aucun cas je ne pourrais vivre sur ces drôles de planètes où l’on doit prendre son automobile pour se retrouver à la queue-leu-leu à l’entrée d’immenses parkings d’hypermarchés. Le comble étant pour moi de devoir prendre sa voiture simplement pour aller acheter du pain.
Bien sûr, c’est le cas de nombreux habitants de ce pays qui habitent par exemple en zone rurale. Mais dans ce cas, le seul fait d’habiter à la campagne est une incitation permanente à la promenade, dans toutes les autres circonstances de la vie.
C’est une hygiène de vie qui dépasse le simple besoin d’exercice physique. Vous pouvez faire tous les jours le même trajet à pieds, il sera pourtant chaque jour différent. Soit parce qu’il se passera des choses différentes, soit que vous découvrirez à chaque fois des détails nouveaux, soit que votre esprit sera incité à vagabonder au gré de vos pensées qui rendront la géographie des lieux nouvelle sans cesse.
Lorsqu’on marche, on a les sens plus en éveil qu’enfermé dans un espace confiné. Les oiseaux vous parlent, les bruits vous intriguent, le vent vous transporte, la pluie vous contrarie, le froid vous gêne, la lumière vous accompagne, l’agressivité vous quitte, les cloches d’église vous disent bonjour, les voitures ont tort et les automobilistes sont à plaindre.
Je pense souvent à cette théorie de l’évolution de l’espèce humaine qui veut que l’homme se soit redressé pour devenir bipède dès lors qu’il a dû quitter la jungle pour rejoindre la savane, obligé, de fait, à oublier ses vieux réflexes de singe et ses manies animales pour faire ses premiers pas, enfin, dans un monde plus civilisé. Que penser alors de l’évolution irréversible depuis le début du XX ème siècle qui voit l’homme quitter la campagne pour rejoindre la ville, où tout est fait – en théorie – pour faciliter ses déplacements ! Songez un instant à ce qu’il adviendra de nous au fil des millénaires qui viennent s’il s’avère que de plus en plus d’êtres humains utilisent de moins en moins la marche comme mode de locomotion ! Même si cette mutation doit prendre plusieurs centaines de siècles, je n’ai pas envie que mes lointains descendants ne retrouvent un jour les mauvaises habitudes de mes lointains ancêtres !
Vive la marche à pieds !