Depuis un certain 21 avril 2002, je suis de ceux qui pensent que l’abstention n’est pas seulement une pratique d’une négligence discutable ou d’un snobisme désinvolte, mais une faute moralement difficilement pardonnable.
Et pour moi, il est d'abord question d’éducation.
J’ai le souvenir encore très vif, petit garçon, des dimanches un peu particuliers où j’accompagnais mes parents s’en allant accomplir leur devoir électoral. Et ce souvenir me revient à chaque fois que j’approche de mon propre bureau de vote.
Le lieu tout d’abord.
Il s’agissait d’un dépôt d’autobus de la RATP, aujourd’hui disparu, situé avenue Mozart, au niveau de la rue de l’Assomption, dans le quartier qu’habitent toujours mes parents. Pour le petit garçon que j’étais alors, c’était une fête de pouvoir pénétrer en ce lieu un peu mystérieux, habituellement interdit au public car strictement réservé aux personnels de la régie, et qui éveillait en moi une curiosité renouvelée tout au long de l’année à chaque fois que je passais devant. C’était une sorte de grand hangar assez impressionnant dans lequel étaient stationnés tous les autobus en service durant la semaine, impeccablement rangés en épi pour leur repos dominical, comme dans un musée des transports. Evidemment je m’imaginais grimpant dans l’un de ces monstres vert et blanc, et prendre le volant pour jouer au héros chauffeur de bus, invincible et triomphant.
La solennité ensuite.
Je ressentais une espèce de fierté en assistant à ce rituel républicain qui me paraissait immuable, où les files de votants suivent un parcours réglementé, dans le plus grand calme, et où l’isoloir était pour moi une drôle de cabane, dans laquelle je goûtais la joie de me cacher avec père ou mère, sans avoir parfaitement conscience, au moins les premières fois, qu’il s’agissait là d’un des plus forts symboles de notre démocratie.
Pourtant, même quand on est enfant on sent qu’il se passe quelque chose d’un peu spécial dans un bureau de vote, et qui fait qu’on est à la fois intimidé et respectueux par ce jeu de société solennel et intrigant réservé aux adultes.
Il y avait un étonnement supplémentaire pour moi, de voir mon père attendre patiemment son tour sans se plaindre, chose impensable en tout autre lieu, du fait de sa phobie pour les files d’attente depuis son internement à Miranda pendant la 2eme Guerre Mondiale.
Aujourd’hui j’aime emmener mes propres enfants lorsque je vais voter, parce que je me souviens de ma propre expérience et parce que je crois que c’est une façon de leur apprendre ce qu’est une démocratie, notion finalement souvent trop abstraite pour beaucoup, et dont l’histoire montre qu’on n’en comprend réellement le sens que lorsqu’elle est menacée.
Il existe bien évidemment beaucoup d’arguments moraux pour inviter ceux qui pratiquent l’abstention de façon systématique à aller voter. Moi je m’adresse aux parents de jeunes enfants qui sont peut-être mes voisins ou mes amis : sur qui comptez-vous pour apprendre à votre enfant ce qu’est un isoloir ?