J'ai découvert assez récemment, grâce à la "Contre-histoire de la Philosophie" de Michel Onfray, qu'avant d'être le célèbre personnage truculent de la pièce magnifique d'Edmond Rostand créée en 1897, Cyrano de Bergerac a d'abord été un écrivain libertin et poète libre penseur ayant réellement existé, né à Paris en 1619.
Rostand ne s'est d'ailleurs pas contenté de s'inspirer semble-t-il de quelques similitudes physiques et de caractère avec son modèle : nez effectivement disgracieux, homme d'esprit et militaire, pamphlétaire et satiriste, décédé accidentellement à 36 ans d'un coup sur la tête. Rostand rend également hommage à son oeuvre majeure intitulée "L'autre Monde ou les Estats et Empires de la Lune" lorsque Cyrano, dans la pièce, décrit les différentes manières d'atteindre la Lune dans le simple but de retarder le comte de Guiche qui s'en va retrouver Roxanne alors même que celle-ci se prépare à épouser son bel amant, hélas dépourvu d'esprit.
J'ai trouvé à la bibliothèque Mazarine une édition récente de "L'autre Monde" (édition critique par Madeleine Alcover, Librairie Honoré Champion, Paris, 1977); et en progressant dans la découverte de cette oeuvre étonnante et injustement oubliée, publiée la première fois à titre posthume en 1657 deux ans après la mort de l'auteur, je suis émerveillé par le mélange de poésie, de philosophie et d'invention qu'on peut y trouver.
Je ne sais si l'on a raison de prétendre qu'il s'agit du tout premier roman de science-fiction de l'histoire de la littérature, mais en tout cas voici un extrait troublant à mettre en perspective avec l'invention récente de l'iPod et autres baladeurs mp3 :
A l'ouverture de la boëste, je trouvé dedans un je ne sçay quoy de metal casi tout semblable à nos horloges, plein d'un nombre infini de petits ressorts et de machines imperceptibles. C'est un livre à la vérité, mais c'est un livre miraculeux qui n'a ny feuillets ny caracteres; enfin c'est un livre, où pour apprendre les yeux sont inutiles, on n'a besoin que d'oreilles. Quand quelqu'un donc souhaitte lire, il bande avec une grande quantité de touttes sortes de clefs cette machine, puis il tourne l'esguille sur le chapitre qu'il desire escoutter, et au mesme temps il sort de cette noix comme de la bouche d'un homme, ou d'un instrument de musicque, tous les sons distincts et differens qui servent, entre les grands lunaires, à l'expression du langage.
Lors que j'eus refleschi sur cette miraculeuse invention de faire des livres, je ne m'estonné plus de voir que les jeunes hommes de ce pays là possedoient d'avantage de connoissance à seize et à dix-huit ans que les barbes grises du nostre. Car sachans lire aussi tost que parler, ils ne sont jamais sans lecture; dans la chambre, à la promenade, en ville, en voyage, à pied, à cheval, ils peuvent avoir dans la poche, ou pendus à l'arçon de leurs selles, une trenteine de ces livres dont ils n'ont qu'à bander un ressort pour en ouyr un chapitre seulement, ou bien plusieurs, s'ils sont en humeur d'escoutter tout un livre. Ainsy vous avés eternellement au tour de vous tous les grans hommes et morts et vivans qui vous entretienent de vive voix.
N'est-ce point incroyable ?
Allez, à +