Le passe-temps qui
consiste à feuilleter de vieux albums photos avec mes enfants, le plus souvent
à leur demande, lorsque le plus jeune s’est déjà installé au milieu du salon, à
même le parquet avec les volumes consacrés au mariage de ses parents, qu’il
connaît pourtant par cœur, est toujours une expérience amusante.
Avez-vous remarqué
combien les jeunes enfants aiment à se replonger très tôt dans leur propre
préhistoire avec une curiosité avide et boulimique ?
On pense souvent que
le sentiment nostalgique est une douce plaie exclusivement réservée au monde
des adultes, qu’il faut avoir vécu déjà un certain nombre d’années de sa vie
d’homme - ou de « papa » comme disent mes enfants - pour qu’avec le
recul, on puisse sourire de nos mésaventures d’antan et de nos désagréments de
jeunesse qui ponctuaient une époque où, sans en être conscient, nous ne savions
pas ce qu’étaient les soucis.
Et pourtant, on devine
quel émerveillement cela doit représenter pour eux de reconstituer un passé
plus ou moins éloigné, demandant l’identité de tel ou tel, cherchant à
reconnaître des gens parmi toutes les têtes qui peuplent ou qui ont peuplé une
période où leur propre existence n’avait même pas encore été conçue, encore
moins programmée ! Autant dire une autre vie.
Sans parler des photos
– pour nous plus récentes mais pour eux tout aussi antiques – les représentant
bébé, sans qu’ils puissent se reconnaître ni se rappeler quoi que ce soit, sans
voir de différence entre les nourrissons photographiés, pour lesquels nous
devons nous-mêmes nous aider du contexte, du décor, et de notre propre
vieillissement pour nommer avec certitude tel ou tel de nos propres enfants.
Pour les adultes,
l’exercice est souvent nostalgique et parfois cruel, mais pour eux c’est comme
un jeu d’archéologie familiale, qui les aide dans la construction de leur
propre identité et de leur propre personnalité. C’est une joie pour eux de se
revoir bébé, dans des lieux et des situations qu’ils ont complètement oubliés,
ou bien de découvrir la genèse de leur famille.
Ces vieux albums
valent toutes les histoires car c’est leur histoire.
Finalement, nous
sommes tous sur terre la réincarnation d’un bébé, puisque nous avons tous eu
cette vie antérieure de nourrisson qui ne nous a laissé absolument aucun
souvenir, qui appartient irrémédiablement au passé, et dont nous pourrions
presque douter sans le témoignage de nos aînés, si nous n’étions pas
absolument certains que cela ne se peut contredire.
Tout le monde peut faire cet exercice très simple : essayer de
retrouver une vieille photo d’une époque aujourd’hui révolue; soit de notre
jeunesse soit de la jeunesse de nos parents ; une photo qui évoque des
souvenirs ou une période particulièrement heureuse ; laissons-nous aller au
vagabondage de l’esprit et à l’évocation de ces temps heureux ;
laissons-nous envahir par l’émotion, et nous conviendrons que, comme dit le
poète : « un souvenir heureux est peut-être sur terre plus vrai que le
bonheur ».